Récit graphique & mémoire collective – une résidence d’Elisa Sartori
Le projet de résidence d’Elisa Sartori, c’est un récit en texte et en image qui évoque des ruptures. Celle du narrateur ou de la narratrice avec son pays d’origine qu’il/elle a quitté (les raisons ne sont pas explicitées). Rupture aussi avec ses marques familiales qu’il/elle délaisse douloureusement car trop lointaines. Rupture encore avec le lieu d’ancrage, le nid, le refuge qu’il/elle occupait antérieurement, ce qui constituait son socle, sa base. Rupture enfin avec la routine de « la vie d’avant », les mêmes chemins sempiternellement empruntés, les mêmes réflexes et repères imagés, qu’il va falloir désormais réinventer.
C’est dimanche – ce sont les premiers mots du récit – est le monologue d’une personne qui se sent étrangère dans le pays où elle a posé ses valises. Sensation d’être viscéralement autre, sensation d’être profondément isolée. Doublée d’un intense sentiment de solitude, cette conscientisation de « l’étranger » est exacerbée le dimanche et génère de l’appréhension : si c’est à la fois le jour de repos, de l’inaction, du retrait, c’est également le jour de l’achèvement (« la fin de… ») et de l’annonce d’un inexorable recommencement (« la veille de… »). C’est dimanche exprime cet entre-deux : achever de comprendre d’un côté et devoir tout ré apprendre de l’autre.
Il en découle ici un graphisme très épuré, froid à certains égards – en atteste particulièrement une composition hivernale de l’album en cours – et une écriture sobre, condensée que n’accompagne parfois aucune image (une ode à la page blanche !) A l’instar de cet intervalle de vie où l’on délaisse ce qui nous constituait si précieusement, et où l’on s’aventure dans des voies dont on recherche encore le sens : un intervalle incolore, impersonnel. Convier des odeurs, saveurs et petits rituels du temps passé peut aider sensiblement la traversée, c’est ce dont nous témoigne Elisa Sartori dans cette proposition narrative. Laisser venir à soi la rencontre inopportune (peut-être une amie future), s’immerger dans le marché aux puces qui regorge d’objets personnels (peut-être un vase qui un jour accueillera une fleur) et d’histoires intimes et anonymes (immortalisées dans de vieux albums photographiques), c’est ne plus être entre deux, mais faire face au champ des possibles.
Le texte et le graphisme que signe là Elisa Sartori font écho à une publication antérieure : son album-leporello Je connais peu de mots (CotCotCot, 2021), où il est question des prémices de ce qu’on ne connaît pas encore (les mots justes, la langue), ce qui génère de facto débordements émotionnels et peurs irrationnelles.
« Il faut donner du temps au temps»… Ce temps transitionnel, celui durant lequel on ne peut pas forcer les choses, c’est cela que questionne Elisa Sartori dans C’est dimanche et Je connais peu de mots.
Ce rendu de résidence est l’occasion pour Elisa Sartori de montrer aussi les projets artistiques sur lesquels elle a œuvré tout dernièrement. Il s’agit de trois projets graphiques qui convient le medium photo dans leur réalisation : une sérigraphie pour le collectif 10e Arte, une image réalisée pour le calendrier 2024 de la Scam – une variation d’image extraite de C’est dimanche –, l’identité visuelle de la campagne Lisez-vous le belge ? L’artiste livre également ici le texte qu’elle vient de finaliser pour un album à paraître ultérieurement (Parution aux éditions CotCotCot en 2025/2026 - titre provisoire : L’avion ou Aller-retour / Illustration : Dina Melnikova)
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Elisa Sartori, née en 1990 à Cremone (I), a commencé des études à l’Académie des Beaux- Arts de Venise avant de venir s’installer en Belgique et d’y suivre un cursus en Illustration à l’Académie Royale des Beaux-Arts de Bruxelles (ARBA-ESA). Elle a obtenu un diplôme de Master à finalité didactique consacré à la formation pédagogique, ce qui lui a permis d’entreprendre une carrière d’enseignante d’art en école secondaire à Bruxelles. En 2015, elle a co-créé le collectif de street art 10eme Arte, avec lequel elle a réalisé plusieurs œuvres dans les espaces urbains. En 2021, son livre Je connais peu de mots reçoit le prix de la première œuvre en littérature jeunesse de la FWB.
Elisa Sartori est la troisième artiste invitée par les Ateliers du Texte et de l’Image (ATI) dans le cadre
d’une résidence biennale en littérature jeunesse et graphique aux RAVI.